mercredi 16 février 2011

Etat d'annexion en amazigh

L'ETAT D'ANNEXION DU NOM

par Salem CHAKER



  Ce concept grammatical appartient au  couple oppositif Etat libre ~ Etat d'annexion,
alternance caractéristique de l'initiale du nom  en berbère. Les berbérisants emploient
également, mais beaucoup plus rarement, la terminologie Etat absolu (= libre)/Etat construit
(annexion). Le phénomène concerne la généralité des dialectes berbères actuels, à l'exception
de certains parlers orientaux (Nefoussa, Ghadames, Sokna, Siwa,...), et du Zenaga de
Mauritanie qui semblent l'avoir perdu à date récente (Vycichl 1957, Prasse 1974, Brugnatelli
1987).

  L'opposition d'état est l'un des points les plus délicats du système grammatical berbère,
tant au plan des signifiants qu'au niveau proprement syntaxique (conditions d'apparition et
fonctions). Au plan diachronique, sa génèse est également obscure. L'enchevêtrement des
données est extrême en la matière. Malgré les développements récents et certaines tentatives
de réinterprétation (notamment d'origine  générativiste : Guerssel 1983 et 1987, Saïb 1982,
Bader 1984, Jebbour...), les approches "classiques", déjà anciennes d'André Basset (1948,
1952, 1957...), restent les références et la base de travail les plus satisfaisantes.


MORPHOLOGIE

  Les modifications formelles liées à l'opposition d'état concernent la syllabe initiale du
nom. Au masculin (indépendamment du nombre, voyelle initiale : a-/u-/i-), on a, pour tous les
dialectes berbères nord (les formes retenues sont généralement celles du kabyle) :

  Etat libre  Etat d'annexion
 1. a----   w(e)/u----     argaz/wergaz ; amazià/umazià
 2. a----   wa----     ass/wass ; ammus/wammus
 3. u----   wu----    uššen/wuššen
 4. i----   y(e)----   irgazen/yergazen
 5. i----   yi----    ilef/yilef ; izmawen/yizmawen
 6. i----   i----     imaziàen/imaziàen (pas de distinction)

Au féminin (indépendamment du nombre, initiale : ta-/tu-/ti-) 
 7. ta----   t(e)----  tamàart/temàart
 8. ta----   ta----   tala/tala (pas de distinction)
 9. tu----   tu----   tuggi/tuggi (pas de distinction)
 10. ti----   t(e)----   timàarin/temàarin
 11. ti----   ti----   tizi/tizi (pas de distinction)

Cette schématisation montre qu'il y a intrication entre préfixation d'un formant w- (ou
y- ), maintien ou chute de la voyelle initiale de  l'état libre, marque d'état, de genre (et de
nombre). Au masculin, la marque fondamentale de l'état d'annexion est le préfixe w- ([w]
devant voyelle, [u] devant consonne), avec variante morphologique y- (palatalisation phoné-
tiquement conditionnée) devant voyelle initiale i- (types 4 et 5). 
Comme l'a bien vu A. Basset (1952 et 1957), le syncrétisme de la forme 6 est certainement
une donnée secondaire accidentelle, induite par les contraintes syllabiques : elle concerne la
catégorie syllabique des noms de forme -CVCV. La variante attendue  *y(e)CV- serait
contraire aux règles de la syllabation berbère qui interdisent les syllabes ouvertes sur voyelle
neutre (non phonologique), d'où  *yemaziàen >  imaziàen. La forme 4 (y--) s'explique sans
doute par une réfection analogique sur les deux autres cas à initiale  i-, car une séquence
*w(e)--- (*wergazen) n'avait a priori phonétiquement rien contre elle.