mardi 1 mars 2011

LA LANGUE AMAZIGHE ENSEIGNEE AU MAROC : REALITE, PROBLEMES ET PERSPECTIVES

LA  LANGUE AMAZIGHE ENSEIGNEE AU MAROC : REALITE, PROBLEMES ET PERSPECTIVES
INTRODUCTION

Au Maroc, depuis 2001, on constate une nette évolution vers l'instauration d'une nouvelle politique linguistique, et vers la gestion effective de la question amazighe. La création de l'Institut Royal de la Culture Amazighe[1], l'introduction de l’amazighe dans l'enseignement et l’audiovisuel sont autant d'indicateurs du régime pour appréhender la question amazighe, l’investissant  d'une nouvelle approche.
              En fait, il n’y a pas d’institution plus efficace pour développer la langue et la culture amazighes que l’école. Néanmoins, différentes questions s’imposent : l’école marocaine « déjà bilingue », peut-elle recevoir le « corps amazigh  » comme étant un élément propre, légitime et vivant ? Comment peut-elle gérer une telle nouveauté ? Faut-il changer  la politique linguistique au Maroc, cette politique qui ignore toujours le multilinguisme officiel ?
Depuis 2003, début de l’enseignement de l’amazighe, L’IRCAM a élaboré six manuels scolaires, mais nombre de  critiques vont à l'encontre de ces manuels qui, semble-t-il, ne concrétisent pas et ne cristallisent pas l'un des objectifs majeurs, à savoir la standardisation de l’amazighe et l'enseignement d'une langue commune. Ceci est vrai surtout dans la première et la deuxième année de l’enseignement primaire. D’autres enseignants et pédagogues voient dans  les manuels de la quatrième, de la cinquième et de la sixième année de l’enseignement primaire un réel pas vers la standardisation.
D’autre part, depuis le commencement de cet enseignement, nous constatons énormément de dysfonctionnement au niveau de la gestion de ce secteur vital.
Notre communication traite essentiellement la question de l’enseignement de l’amazighe à l’école marocaine publique. Nous présenterons en premier lieu l’état des lieux de  cet enseignement en citant nombre de problèmes relatifs à cet enseignement-apprentissage, ensuite nous allons avancer quelques suggestions pour un enseignement meilleur de cette langue.

I- ETAT DES LIEUX DE L’ENSEIGNEMENT DE L’AMAZIGHE
1-Objectifs  l’enseignement de l’amazighe au Maroc :
Le système éducatif marocain connaît l’intégration de la langue amazighe dans l’enseignement primaire depuis Septembre 2003 suite à la convention liant l’IRCAM et le Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse (MENJ) datée du mois de Juin de la même année.
A cet effet, plusieurs manuels dont « Awal inu »[2], « Tifawin a Tamazight »[3] 1, 2, 3, 4, 5 et 6  ont été réalisés pour répondre aux besoins de cet enseignement. Ces manuels sont le fruit d’un travail d’équipe réalisé par les chercheurs de l’IRCAM en collaboration avec la Direction des Programmes et des Curricula du Ministère de l’Education Nationale.
Les manuels réalisés se basent sur la circulaire 108 qui fixe les principes généraux sur lesquels se fonde cet enseignement, à savoir :
*la généralisation de l’enseignement de l’amazighe sur le plan vertical (dans le temps) à l’ensemble des cycles et des niveaux de l’enseignement ;
*la généralisation de l’enseignement de l’amazighe sur le plan horizontal (dans l’espace) pour concerner toutes les régions du royaume ;
*le caractère obligatoire de cet enseignement aussi bien pour les apprenants amazighophones que pour les apprenants arabophones, ce qui implique qu’il est passible d’une évaluation au même titre que les autres enseignements ;
*l’enseignement progressif de la langue standard unifiée dans ses structures phoniques, morphologiques, lexicales et syntaxiques.
        
2- Chronologie  de l’enseignement de l’amazighe :
D’inextricables d’interrogations ont hanté les enseignants du primaire, curieux et enthousiasmés au début, puis avec l’expérimentation déçus et furieux.
Pour l’exercice de l’année 2003-2004, l’enseignement de l’amazighe est officiellement instauré dans 344 écoles, relevant de toutes les délégations provinciales et préfectorales du Ministère. La politique vise la généralisation de cet enseignement : en Septembre 2008 l’amazighe sera présent dans tous les cycles de l’enseignement, de l’école à l’université, en passant par le collège et le lycée !
De l’introduction de l’amazighe à l’école en cette année scolaire, le discours officiel augure de bonnes perspectives, mais les données « réelles », celles du terrain, disent autre chose. Le début de l’enseignement s’est fait dans la précipitation, l’improvisation et dans la non préparation des enseignants, des inspecteurs et des conditions favorables à cet enseignement.
  
Pour l’année 2004-2005, le manuel est toujours rare sur le marché. Il n’y a pas de formation des professeurs de la deuxième année. Le MENJ et l’IRCAM se plaisent à présenter des statistiques « inexactes » : les apprenants sont oubliés.

Pour l’année 2005-2006, le troisième manuel ne trouve pas, à son tour, de place dans les emplois du temps des enseignants. Aucune école ne connaît réellement un tel enseignement.

Pour l’année 2006-2007, le quatrième manuel aussi ne  trouve pas sa place dans les emplois du temps des enseignants (jusqu’au Décembre 2006). Rares sont les académies qui ont organisés des sessions de formation des enseignants de l’amazighe.

Pour l’année 2007-2008, on insère les trois heures de l’amazighe dans les emplois du temps sans être enseignées, ce qu’on apprend aux élèves c’est l’alphabet tifinagh-IRCAM. Les manuels de tamazight, conçus par l’IRCAM, n’étaient toujours pas inscrits sur la liste officielle des ouvrages scolaires du ministère de l’Education Nationale. Ces manuels sont d’ailleurs souvent introuvables sur le marché, faute d’être distribués.


Pour l’année 2008-2009, il y a manque de formation continue pour les enseignants de l’amazighe qui choisissent d’insérer les six séances de l’amazighe dans leurs tableaux de service, non pas pour être enseignées mais cela va leur permettre de gagner six heures de repos par semaine.[4]
 Pour l’année 2009-2010, avec le plan d’urgence marocain dans le cadre de  la réforme du système éducatif,  les élèves bénéficient, comme dans les autres matières, de la gratuité des  manuels scolaires amazighs, mais la question qui se pose : est-ce que le MEN a formé les enseignants sur l’utilisation de ces manuels ?
Pour cette année aussi, l’enseignement de l’amazighe doit entamer la première année du cycle secondaire collégial, Mais  nous ne constatons aucun indice encourageant la continuité de l’enseignement de cette langue au collège, que dire du lycée.

             Donc, depuis 2003 jusqu’à la présentation de cette communication, l’enseignement de l’amazighe baigne dans une multitude de problèmes, qui sont le résultat d’une insertion faite dans la précipitation et dans la non préparation des conditions favorables  pour son enseignement.

II-  PROBLEMES DE L’ENSEIGNEMENT DE L’AMAZIGHE

Parmi ces problèmes nous citons :
*La volonté du Ministère : le Ministère émet des notes mais ne fait pas de suivi ;
*Responsabilité des académies : Certaines Académies n’appliquent pas la convention signée entre  et le MEN et l’IRCAM, les  notes ministérielles élaborées dans ce sens ne sont pas appliquées par le MEN. Il y a des Académies qui organisent régulièrement des sessions de formation chaque année en faveur  des enseignants de l’amazighe,  d’autres n’organisent qu’une ou deux journées de formation, c’est de l’errance totale ;

*La généralisation qui devait se faire progressivement pour toucher toutes les écoles marocaines, non seulement a pris beaucoup de retard, mais a reculé ou même stoppé  dans certaines régions ;
*Problèmes d’encadrement : les inspecteurs du Ministère de l’Education Nationale ne peuvent pas encadrer les enseignants de l’amazighe puisqu’ils n’ont pas reçu une formation de qualité, en plus ils considèrent que l’encadrement de l’amazighe est une surcharge  et ils considèrent cela comme superflu en ordonnant aux enseignants de réduire le nombre d’heures de tamazight pour les remplacer par le soutien[5];
*La formation des enseignants : nous constatons des dysfonctionnements par le manque de formation des enseignants.

*Les enseignants arabophones : nombre de classes sont prises en charge par des enseignants arabophones. Comment peut-on enseigner une langue qu’on ignore ?

*Problème de l’écriture en tifinagh[6] : l’insertion du schwa  pose énormément de problèmes en Tarifit ;
*Il n’y a pas de continuité  dans l’enseignement de l’amazighe: on enseigne cette langue en 1ère année et dans quelques classes en deuxième année de l’enseignement primaire ; d’où l’application de la Charte Nationale d’Education et de Formation et du Livre Blanc ;[7]

III- QULELQUES PROPOSITION POUR UN ENSEIGNEMENT EFFICACE DE L’AMAZIGHE :

Afin d’éviter toute errance dans l’enseignement-apprentissage de l’amazighe, et dans le dessein de surmonter les dysfonctionnements qui entravent un apprentissage efficace de cette langue, nous suggérons les mesures suivantes :
Ø  La nécessité d’un traitement plus sérieux de l’enseignement de l’amazighe ;
Ø   La langue amazighe appartient à tous les Marocains sans exception et doit être enseignée à tous, qu’ils soient amazighophones ou arabophones dans toutes les écoles publiques et privées du Royaume ;
Ø  La formation initiale des enseignants paraît souvent insuffisante pour réussir leur cours en amazighe, tandis qu’une quasi-absence de formation continue constitue un frein à l'amélioration de leurs compétences. Il faudrait une formation d’enseignants spécialisés, inspecteurs bénéficiant d’une véritable formation, ouverture de départements de langue et culture amazighes dans chaque région ;
Ø  Mise en place de modules dans les CFI[8], CPR[9] et ENS[10] et choix de formateurs compétents ;
Ø  Obligation à toutes les  académies de respecter les notes ministérielles et autres textes ad hoc relatifs à l’amazighe pour une véritable généralisation horizontale et verticale de cette langue ;
Ø  Les masses médias pourraient présenter des émissions de l’enseignement de l’amazighe en trois variantes, cela aidera les enseignants ainsi que les apprenants à surmonter nombre de problèmes de l’enseignement-apprentissage de cette langue ;
Ø   la standardisation de l’amazighe doit se faire petit à petit pour que les apprenants, ne ressentent pas qu’ils sont dans un bain linguistique étranger …

CONCLUSION
       A partir de cette communication, nous avons tenté de  démontrer que :
ü  Le bilan de l’enseignement de l’amazighe est négatif, voire catastrophique : l’enseignement de la langue amazighe n’a pas seulement pris du retard. Mais, dans certaines régions, il serait même en recul ;
ü  L’enseignement de l’amazighe à l’école marocaine  publique est à repenser ; les enseignants ne peuvent rien donner aux apprenants car leur formation en amazighe tend vers zéro ; et d’ailleurs connaître une langue n’est pas suffisant pour l’enseigner;
ü  L’enseignement de l’amazighe n’est pas l’enseignement de tifinagh, ce que, malheureusement, font  la majorité écrasante des enseignants de l’amazighe, car le tableau de service des enseignants de l’amazighe comprend d’autres disciplines autre que  l’écriture à savoir l’oral, la lecture, le fonctionnement de langue et le ludique ;
ü  L’enseignement  de la langue amazighe nécessite une volonté politique de la part des responsables de l’Etat marocain, à côté, bien sûr,  des enseignants qui doivent assumer leur responsabilité d’enseigner cette  langue comme le font avec les autres matières (français, l’arabe …) ;
ü  Les manuels publiés par l'IRCAM ne s'inscrivent pas dans un processus d'évolution et d'homogénéisation progressifs de la langue amazighe. Leurs choix oblige les apprenants à apprendre une langue coupée de la pratique des locuteurs, une langue «fabriquée» et en déphasage par rapport à un amazighe vivant et parlé à partir des textes bricolés syntaxiquement.


El Hossaien FARHAD, Chercheur  en didactique de l’amazighe
Partie d’une communication à Paris (INALCO) le 23 Novembre 2009
BIBLIOGRAPHIE

1.    AMEUR, meftaha et BOUMALK, Abdellah, Structures morphologiques de l’amazighe, Publications de l’Institut Royal de la Culture Amazighe Actes du deuxième séminaire du CAL, Série : colloques et séminaires-     N °10, 2006 ,169 p.
2.    ALMOU, driss, Didactique de l’amazighe: situations d’apprentissage axées sur les compétences, Editions Buregreg, Rabat, 2007, 135 p.
3.    BOUKOUS,   Ahmed, L’amazighe et la politique linguistique et culturelle au Maroc, [En arabe: al Amazighyya wa ssiyassa alloghawiyya w ttaqafiyya bi lmaghrib] Rabat: Editeur, Tariq Ibn Zyyad, imprimerie Fidiprante, 2003,     112 p.
4.    BOUKOUS,   Ahmed, Le Profil sociolinguistique au Maroc, Culture populaire marocaine, Bulletin économique et social marocain, Rabat B.E.S.M., 1979, 140, Pp: 5-31.
5.    BOUVIER, Alain, la Gouvernance des systèmes éducatifs, Paris: PUF, 2007, 350 p.
6.    CARPENTIER, Claude, (sous la direction), L’Ecole dans un monde en crise : entre globalisation et héritages, Paris : l’Harmattan, 2008, 284 p.
7.    CONSEIL SUPERIEUR DE L’ENSEIGNEMENT, RapportAnnuel, Instance Nationale d’Evaluation du Système d’Education et de Formation Etats et perspectivess du système d’éducation et de formation,  vol. I, Réussir l'école pour tous, 2008, 105 P.
8.    PICQ, Pascal et al. la plus belle histoire du langage, Paris VI: Editions du Seul, 2008, 184 p.
9.    MEN, La circulaire 133 du 12 Octobre 2007 ; sur l’insertion de l’amazighe dans les cursus scolaires.
10.              MEN, La circulaire 130 du 6 septembre 2006 ; sur l’organisation  de l’enseignement de l’amazighe et la formation  des professeures de l’amazighe;
11.              MEN,  La circulaire  90 du 19 Aout 2005 ; sur l’organisation des sessions de formation dans la pédagogie et la didactique de l’amazighe;
12.              MEN, La circulaire ministérielle 82 du 20 Juin 2004; sur l’organisation de l’enseignement de l’amazighe et la formation des professeurs de l’amazighe;
13.              MEN, La circulaire ministérielle 108 du 1er Septembre 2003 ; sur l’insertion de l’enseignement de l’amazighe dans les cursus scolaires.
14.              RAPPORT SUR LE DEVELOPPEMENR DE LA REGION MENA, Un parcours non encore achevé: La réforme de l’éducation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, BANQUE MONDIALE, Washington: 2007, 24 p.
15.              Standardisation de l’amazighe, Actes du séminaire organisé par le CAL, Rabat, 8-9 Décembre 2003, IMP. El Maârif Al Jadida, Rabat, 2004,  p.



[1] Dorénavant, nous allons noter IRCAM.
[2] Ma parole
[3] Ensemble de manuels élaborés par l’IRCAM
[4] Pour les niveaux 3, 4,5 et 6 année de l’enseignement primaire
[5] Soutien des matières de l’arabe ou du français.
[6] El Hossaien, FARHAD,  la nécessité du Schwa ; le Monde amazigh  N°64 Septembre 2005.
[7] «  Levier 9 : Perfectionner l’enseignement et l’utilisation de la langue arabe, maîtriser les langues étrangères et s’ouvrir sur le Tamazight(…)(Extrait de la charte Nationale d’Education et de Formation- Octobre 1999)

[8] Centres de Formation des Instituteurs.
[9] Centres Pédagogiques Régionaux.
[10] Ecole Normale Supérieur.

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